Pourquoi est-ce que je choisis de randonner seule ? De voyager seule ?
Ce sont parfois les questions que l’on me pose. “On” englobe certaines personnes de mon entourage – bien que, depuis le temps que je pratique mes périples en solitaire, elles se sont habituées et ne me questionnent plus -, mais surtout des personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux.
Je ne décèle pas de jugement dans cette question. Plutôt de la curiosité, mêlée à de l’inquiétude ou de l’admiration, pour quelques-unes d’entre elles.
Même si de plus en plus de femmes randonnent, voyagent seules, je n’en ai pas rencontré tant que ça lors de mes aventures. Ma démarche suscite encore de l’étonnement. Que ce soit de la part de femmes ou d’hommes, j’ai reçu tous types de remarques.
Je compte en faire une vidéo dédiée sur ma chaîne YouTube, donc je ne vais pas plus en parler ici. Par contre, je peux vous raconter comment j’en suis venue à randonner et voyager seule, et pourquoi je revendique cette pratique.

Une question de représentation
Même si j’ai vécu une enfance citadine en banlieue parisienne, j’ai eu la chance de souvent partir en vacances en famille. J’ai toujours aimé crapahuter, marcher dans la nature, découvrir de nouveaux endroits. Petite, j’avais déjà un goût prononcé pour l’aventure et l’imaginaire, enrichi par les nombreuses histoires que je lisais ou que j’écoutais sur ma radio-cassette. Même si les héroïnes aventurières n’étaient pas encore très répandues (dans mes souvenirs), je ne faisais pas la différence entre garçon et fille. Je ne me sentais pas limitée du fait que j’étais une fille, et quand j’y réfléchis, j’ai reçu une éducation très peu genrée.
Les remarques du style “cette activité est pour les filles, celle-ci est pour les garçons” me sont parvenues aux oreilles quand j’étais à l’école. Mais je ne les comprenais pas, je les trouvais insensées. C’était comme si l’on me parlait une langue étrangère. Pourquoi y aurait-il un sport pour filles et un sport pour garçons ? Pourquoi tel instrument de musique est-il connoté masculin, et tel autre féminin ? Je trouvais ça absurde, et je continue de penser que ça l’est.
Adolescente, puis jeune adulte, je me suis prise de passion pour les voyages sac au dos. Je me suis rendue dans pas mal d’endroits du monde, mais je ne partais pas seule. Soit j’étais avec des amies, soit je partais par le biais d’un organisme. À l’époque, je crois que ça ne me venait pas à l’idée de voyager en solitaire. Ce n’était même pas une question. Aucune femme de mon entourage ne partait seule, je ne lisais pas ou ne regardais pas de récits de voyages. En réalité, j’étais entourée de personnes plutôt casanières. Je me souviens seulement du merveilleux livre autobiographique Passagère du silence, de Fabienne Verdier, à qui je m’identifiais plus ou moins consciemment.

Le déclic est survenu durant l’été de mes vingt-cinq ans. Je ne saurais pas vraiment expliquer comment. Je pense que c’était une envie, un désir d’aventure qui était en moi depuis longtemps, mais que j’ai inconsciemment refoulé.
J’ai eu l’idée de marcher sur l’un des chemins de Compostelle les plus connus en France : la Via Podiensis (ou voie du Puy). J’en ai écrit tout un article, que vous pouvez retrouver ici. C’était une superbe expérience, qui m’a beaucoup appris sur moi-même et sur mes capacités. Mais surtout : elle m’a donné le goût de la randonnée et du voyage en solitaire. Je m’en sentais dorénavant capable, et un changement profond s’est opéré en moi.
Si je me suis aventurée seule sur ce chemin de Compostelle, c’est en partie grâce à une femme : Sylvie de RadioCamino – qui est souvent vue comme LA référence du pèlerinage vers Santiago. Plus tard, pour mes premiers bivouacs en solo, j’ai été inspirée par Suzanne de L’instant vagabond. Leurs conseils et leurs expériences prodigués sur leur chaîne YouTube et sur leur site Internet m’ont donnés envie de me lancer à mon tour.
D’autres femmes dont j’apprécie et j’admire le contenu m’ont accompagnée lors de mes autres aventures : Little Gypsy, Swann Périssé, Eva zu Beck et Sorelle Amore.
Si je parle d’elles, c’est déjà pour les remercier, car elles m’ont indirectement aidée dans mon cheminement personnel. Mais aussi, parce que j’avais enfin des représentations de femmes aventurières, libres, douées et courageuses, qui n’hésitent pas à partir seules à l’aventure, à dépasser leurs limites, à casser les codes sociaux.
Lors de mes voyages et de mes randonnées itinérantes, j’ai rencontré quelques femmes seules, mais assez peu quand j’y repense. Pourtant, je sais qu’elles existent. Je les vois de plus en plus partager leurs périples sur Internet. Ça me fait chaud au cœur. Je me dis que je fais partie de ce mouvement, que j’en suis une humble représentante.
C’est par la représentation que nos horizons s’élargissent. Que de nouvelles possibilités s’offrent à nous, et qu’elles se matérialisent dans notre réalité. Le fait de voir toutes ces femmes vivre ces aventures, selon leurs règles et leurs définitions, est inspirant. Comme je l’ai écrit plus haut, c’est en partie grâce à elles que je me suis lancée à mon tour.

Un plaisir et une revendication
Voyager seule et randonner seule sont devenus un réel plaisir pour moi.
Bien sûr, à mes débuts, j’avais des peurs et des doutes qui m’assaillaient – mais qui ne m’ont jamais empêchée d’agir. Aujourd’hui, j’en ai encore, comme à chaque commencement d’aventure – car l’inconnu réveille quelques appréhensions. Mais ce n’est pas le fait de partir seule qui me met dans l’inconfort.
Plus je prends l’habitude de randonner, bivouaquer, voyager seule, plus je gagne en confiance. Je me rends de mieux en mieux compte de mes capacités et de ma débrouillardise. Je me suis étonnée moi-même plusieurs fois ; que ce soit par mon audace, ma résilience, ma force, ou des solutions que je parvenais à trouver.
Je pense que nous avons toutes et tous ces ressources en nous-même. Le fait de partir seule me permet de m’y confronter. Une fois que je suis sur le terrain, au cœur de certaines situations, je n’ai pas le choix. Et quand je n’ai pas le choix, je ne prends pas le temps de tergiverser : je dois prendre une décision rapidement.
J’aime me retrouver dans ces moments de solitude bien concrète, bien ancrée dans le réel. Dans une société occidentale où nous avons beaucoup (trop) de confort et de choix, nous pouvons nous sentir bloqués, paralysés. Nous pensons trop, nous n’agissons pas assez. Je crois que le simple fait de nous confronter au réel pur et dur, de savoir que nous devons avant tout compter sur nous-même, nous rend plus puissant et plus endurant.
J’encourage tout un chacun à sauter le pas, à oser s’aventurer dans l’inconnu, dans l’inconfort, même si l’on a peur. On peut se découvrir des ressources insoupçonnées.
Marcher seule, voyager seule est aussi une revendication pour moi. Comme je l’ai écrit précédemment, nous avons besoin de représentations, de modèles. De par ma simple démarche, et du fait de la communiquer avec autrui, je montre et je revendique qu’il est possible de faire toutes ces choses en tant que femme seule. Que nous n’avons pas besoin d’un homme pour y parvenir.
Nous pouvons avoir envie d’être avec un homme, bien sûr, mais nous n’en avons pas besoin. Là est toute la différence.

Est-ce que j’apprécie la compagnie ?
J’aime beaucoup rencontrer de nouvelles personnes, que ce soit au cours de mes randonnées itinérantes ou de mes voyages. D’ailleurs, je trouve que le fait d’être seule rend la rencontre plus facile.
J’ai fait de superbes rencontres lors de mes aventures. La plupart ont été éphémères, mais néanmoins marquantes et authentiques, pleines de simplicité et de partage. Mais j’ai rencontré des personnes qui sont devenues des amis, et d’autres qui sont devenues des amants. Pour moi, tout est possible, et je laisse la vie me proposer ce qu’elle a à m’offrir.
J’aime marcher en compagnie de personnes que je viens de rencontrer, discuter jusqu’au bout de la nuit avec des compagnons d’auberges de jeunesse, partager un repas avec les habitants d’un village qui m’ont invitée à leur table. C’est, pour moi, une saveur indispensable à un voyage ou à une randonnée réussis.
Il y a des moments où j’ai besoin d’être seule, où je ne suis pas d’humeur à faire des rencontres. Dans ces cas-là, je m’écoute et j’accepte ce qui se passe en moi. Mais il est rare que cette sensation dure longtemps. J’aime le contact humain, et je suis en recherche de celui-ci ; encore plus lorsque je voyage seule, car j’ai le cœur plus ouvert que d’habitude. Le fait de ne pas me trouver dans mon environnement habituel, de ne pas avoir mes habitudes du quotidien, me rend plus réceptive et plus aventureuse. Je ne regrette que rarement les rencontres que je fais. De manière générale, celles-ci se passent très bien, et j’ai même pu entrer en contact avec des personnes extraordinaires.
Enfin, pour ce qui est de partir en randonnée ou en voyage avec mes proches, la démarche est autre.
Je ne suis pas contre ; je pense même que c’est une expérience toute aussi enrichissante que de partir seule. Elle est enrichissante autrement. Différentes énergies sont déployées.
Cependant, je pense que l’on n’atteint pas le même niveau de retour à soi, de dépassement de soi, que lorsqu’on est seul. Quand on est avec un proche, on a tendance à s’accrocher à lui, à s’appuyer sur sa présence – ce qui peut être très reposant parfois. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais l’aventure n’est pas la même. À deux, ou à plusieurs, on se trouve dans une sorte de bulle confortable et rassurante. Seul, cette bulle n’existe pas, ou presque pas.
Les deux démarches sont intéressantes ; les résultats et le vécu sont différents.

Voilà pourquoi j’aime autant voyager et randonner seule.
J’encourage tout un chacun à l’expérimenter, au moins une fois dans sa vie. Je crois que l’on ne peut avoir que de bonnes surprises par rapport à soi-même, et qu’un potentiel incroyable peut se révéler à soi.
Il suffit d’aller le chercher.