Sur le Chemin de Compostelle

Cet été, j’ai marché sur l’un des chemins de Compostelle, pendant vingt-huit jours, du Puy-en-Velay jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Difficile de relater une telle expérience ; pourtant, je vais essayer de le faire, le plus humblement et le plus justement possible.

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Déjà : pourquoi ai-je décidé de partir marcher, seule qui plus est, sur le GR 65 (ou la Via Podiensis) ?
La plupart de mes proches étaient surpris par ma démarche, mais ils m’ont fortement encouragée à le faire.
La plupart des gens que j’ai croisés sur le chemin étaient étonnés de me voir, moi, une p’tite jeune de vingt-cinq ans, seule sur les sentiers, avec mon gros sac et mes bâtons de randonnée. Mais le premier étonnement passé, la bienveillance et le partage prenaient vite le relais.
Alors, pourquoi ai-je décidé de passer mon été à marcher, seule ?

En fait, il n’y a pas vraiment de raison. Intuitivement, j’ai senti que c’était ce qu’il fallait faire.
Bon, j’ai toujours aimé marcher, j’ai toujours aimé la randonnée. Et ce, depuis toute petite. J’aimais crapahuter partout. Je pouvais me raconter des histoires et partir sur Planète Coline sans que personne ne me dérange. La marche est même une institution pour beaucoup de membres de ma famille.
Donc ce n’était pas si surprenant que ça pour moi de marcher pendant plusieurs semaines.

Ça faisait également un bout de temps que j’envisageais de voyager seule. Je ne l’avais encore jamais fait. Bien que ce soit super de partir avec des proches, l’expérience en solo n’est pas la même et est autrement plus enrichissante.
Pour ce qui est du chemin de Compostelle, je ne peux que conseiller de partir seul/e. Quand on est seul, on est souvent plus ouvert aux autres, plus ouvert au hasard, plus ouvert à l’aventure. On est obligé de faire face à soi-même. Je pense que c’est ça qui peut faire peur (se retrouver seul avec soi-même, brrr !), mais c’est justement en ça qu’il s’agit d’une expérience particulièrement riche.

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Sur le Chemin, j’en suis revenue aux basiques de la vie. Je marchais, je mangeais, je me lavais, je lavais mes vêtements, je dormais. En gros.
Il y a quelque chose de très apaisant là-dedans, d’autant plus que ça détonne pas mal par rapport à notre style de vie d’Occidentaux modernes – et qui plus est, des citadins comme moi. Le fait d’être en mouvement, d’aller d’un point à un autre, de savoir à peu près comment vont être composées les journées, et en même temps goûter à cette liberté immense du marcheur – c’est-à-dire m’arrêter où je veux, aller au rythme que je souhaite, et ne devoir rien à personne –, me donnait la sensation que tout était possible, tout en me vidant la tête et en me remplissant le cœur.

La marche, c’est l’éloge de la lenteur.
Nous qui avons pris l’habitude de nous déplacer en voiture, en train, en avion (etc), nous ne nous rendons plus vraiment compte des distances. Trente kilomètres en voiture, c’est l’affaire d’une poignée de minutes. Trente kilomètres à pied, c’est en moyenne sept ou huit heures de marche.
Au sein d’une époque où tout s’accélère et où l’on a accès à beaucoup (trop) de choses très rapidement, voire de manière quasi-instantanée, je pense qu’il est bon de retourner vers la lenteur et la contemplation, et à réapprendre à vivre avec, à s’habituer à ce que les choses n’arrivent pas tout de suite, au fait que l’on n’arrive pas rapidement à destination. C’est une façon de s’apprivoiser.

Durant la marche, le corps s’exprime aussi, et j’ai appris à l’écouter encore plus attentivement que d’habitude. Je suis sportive, je suis jeune, en bonne santé, et j’ai une bonne condition physique, mais mon corps a beaucoup protesté, surtout les premiers jours. Il faut dire qu’il est assez rare que je marche vingt-cinq à trente-cinq kilomètres par jour avec plus de dix kilos sur le dos (d’ailleurs, dix kilos, pour mon poids actuel, c’est trop).
Je n’ai pas eu de grosses blessures physiques, je n’ai eu qu’une seule ampoule, et je ne me suis vautrée bien comme il faut sur la caillasse qu’une seule fois – j’aurais d’ailleurs pu me faire très mal avec le poids du sac ; j’ai eu de la chance. C’est juste ma dignité qui en a pris un petit coup mais je m’en suis vite remise (surtout que personne ne m’a vue, à part peut-être quelques oiseaux et des épis de maïs).

Certains jours, mon corps a protesté – surtout au début – et il m’est arrivé plusieurs fois de penser que je n’irai jamais au bout. Des douleurs aux pieds, dans le bas du dos… J’ai pu me faire de sacrés films (à base d’entorses, de micro-fractures et de cancer du pied – non là pour le dernier je plaisante), mais quand je marche, mon moteur de l’imagination a tendance à carburer.
Dans ces cas-là, on est obligé de faire avec les douleurs. De les écouter, de s’occuper d’elles. De prendre un jour de repos s’il le faut, même s’il peut y avoir un aspect frustrant dans ce choix. La santé avant tout ! C’est le corps qui décide et qui sait ce qui est bon pour soi.

Et ensuite, au bout de dix-douze jours de marche, un « déclic corporel » s’opère… C’est difficile à expliquer. On m’avait dit que ça se passerait comme ça : après un certain temps, en général au bout d’une dizaine de jours, le corps SAIT véritablement marcher.
Je l’ai senti. Comme si tout se mettait en place, que la mécanique était désormais bien huilée, et que ça y était, c’était parti pour de bon. Et à compter de ce moment : plus aucune blessure, plus aucune courbature, plus rien. Je pouvais m’avaler vingt kilomètres sans m’arrêter et sans m’en apercevoir.
Je savais marcher. Si j’avais pu, j’aurais continué jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Physiquement, j’en étais tout à fait capable. Puisque c’était parti.

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Sur le Chemin, j’ai pas mal pleuré. Je ne suis pourtant pas partie avec des choses lourdes sur le cœur – contrairement à certaines personnes que j’ai rencontrées – mais il arrivait parfois que des émotions remontent à la surface et éclatent. La marche, le fait d’être seul avec soi-même, amène sans doute ça. Ça ne m’a pas déstabilisée parce que j’y suis habituée. Je ne cherchais pas spécialement la raison de ces pleurs, je les laissais simplement venir.
À quoi bon retenir ses larmes ? Pleurer nettoie l’organisme. Si on garde ses émotions bloquées en soi, et qu’on accumule tout, pendant longtemps, on en tombe malade, j’en suis persuadée. Mieux vaut tout évacuer, quitte à être un peu trop bruyant ou à redevenir un petit enfant, quelques instants…
J’ai pleuré quand mon corps protestait et m’empêchait d’avancer à ma vitesse habituelle, j’ai pleuré pour aucune raison apparente dans une église, j’ai pleuré quand je suis arrivée dans les Pyrénées et que ça signifiait la fin du voyage, j’ai pleuré devant la beauté des paysages, j’ai pleuré quand j’ai dû quitter mes amis du Chemin.

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Les rencontres… Évidemment un aspect important du Chemin de Compostelle.
Les rencontres se font bien plus facilement quand on part seul, je pense. Pour ma part, je les ai vécues très naturellement. Je ne saurais pas trop dire ce qui m’a attirée vers certaines personnes. Une intuition, un concours de circonstances. Certains diront que c’était quelque chose de prédestiné – et j’aime le croire. J’aime croire à la rencontre d’âmes, et j’aime croire à l’idée que des âmes qui se sont connues dans des vies antérieures puissent se retrouver dans d’autres vies. Il y a des personnes qu’on vient juste de rencontrer et qu’on a l’impression de connaître depuis toujours. C’est inexplicable, mais c’est incroyablement émouvant – voire déstabilisant. J’ai vécu ça plusieurs fois dans ma vie, et à chaque fois j’ai l’impression d’avoir une chance inouïe.

J’ai vécu certaines rencontres du Chemin de cette manière. Une impression tenace de connaître la personne depuis toujours, alors que nous venions à peine de nous rencontrer. Dans cette configuration, avec ces ressentis si intenses, c’est encore plus déchirant de devoir se séparer. Il y a des séparations que j’ai mieux vécues que d’autres.
Pour certaines, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps – mais j’ai continué à marcher.

Sur les chemins de Compostelle, on m’avait prévenue, on fait des rencontres extraordinaires. Parce qu’il y a un état d’esprit particulier, parce qu’on a tous plus ou moins le même but, les mêmes motivations : suivre un chemin. Les différences socio-culturelles sont quasiment gommées : nous sommes tous habillés en pèlerins, nous faisons à peu près les mêmes choses (en gros, nous marchons), nous transportons tous notre maison sur notre dos, nous en sommes réduits à une certaine humilité. Il y a une bienveillance ambiante, une sympathie générale, un soutien mutuel. Ça ne colle pas avec tout le monde, mais il n’y a pas d’hostilité ou de jugement de la part des autres – du moins, je ne l’ai pas ressenti comme ça.

Certaines de ces rencontres que j’ai faites… Je ne pouvais pas m’y attendre. D’ailleurs mieux vaut ne s’attendre à rien. C’est là qu’on peut pleinement se laisser surprendre par la vie, qui est toujours bien plus créative que nous. Et on peut se surprendre soi-même.
Il y a des personnes que j’aimerais retrouver, « rencontrer » de nouveau, en-dehors du Chemin. Qu’est-ce que ces rencontres donneront, alors que la vie quotidienne aura repris le dessus ? L’alchimie, la magie opéreront-elles toujours, ou bien se seront-elles estompées ? J’aime croire que certaines rencontres résistent au temps, aux lieux et aux contextes – il suffit d’écouter son cœur pour le savoir… Je pense.
Encore une fois, la vie est bien plus créative que nous, et, qui sait – nos chemins peuvent se croiser à nouveau.

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J’ai l’impression d’oublier plein de choses. Mais si je continue dans ma lancée, ce ne sera plus un article de blog, mais un roman que j’écrirai.
Est-ce que je conseillerais de marcher sur l’un des chemins de Compostelle, au moins une fois dans sa vie ? Oui.
Est-ce que j’irai jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle ? Définitivement oui.
À quel moment, je ne sais pas. Je partirai quand je sentirai qu’il est temps de partir. Sans planifier quoi que ce soit.

Le retour de ce Chemin est particulier, et je sais que chacun le vit différemment.
Pour ma part, je suis partie sans questions. Sur le Chemin, j’ai quand même eu des réponses. Et je suis revenue avec des questions. Des questions qui n’auront pas forcément de réponses dans l’immédiat, mais rien ne presse. Ça fait aussi partie du lâcher prise.
Le retour n’a pas été si rude pour moi. J’ai été un peu déboussolée, notamment par le fait d’être revenue à Paris alors que j’ai marché en pleine nature pendant un mois, et que je traversais majoritairement de tout petits villages avec à peine quelques commerces – voire pas du tout de commerces. Revenir au bruit alors qu’il y a eu autant de silence…
Mais je suis une citadine dans l’âme, je le sais, et ma place est à Paris pour le moment. C’est dans cette ville que je m’épanouis, et que je dois être. Je ne regrette pas du tout d’être revenue, même s’il y a une nostalgie inévitable du Chemin, et que celui-ci ne tardera pas à m’appeler de nouveau.

Comme me l’avaient dit deux très chouettes messieurs à l’association Les amis de Saint-Jacques du Puy-en-Velay : « Tu vas voir, tu vas prendre goût au Chemin. Tu vas vouloir y retourner tout le temps. C’est foutu ! »
Et évidemment, ils avaient raison.

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En attendant, comme tout un chacun, je continue à tracer mon propre chemin. Un chemin en zig-zag, avec des bosses, des creux, des accidents de parcours, mais un chemin magnifique.

Alors, à très bientôt.

Oh, et si vous voulez voir mes photos et mes dessins du Chemin, je vous invite à vous rendre sur mon Tumblr et sur mon blog.

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8 réflexions sur “Sur le Chemin de Compostelle

  1. Quel bel article…j’ai adoré lire ton parcours, d’autant plus que je pense de plus en plus à faire un bout de ce chemin, moi aussi.
    J’espère vraiment que tes amitiés faites en route dureront, c’est ce que je trouve le plus dur quand je voyage : les rencontres éphémères.
    En tout cas merci pour ce très beau récit parce que tu as renforcé mon envie de me lancer, seule, dans cette aventure 🙂

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  2. Emotion rire admiration tout cela s’insinue chez la lectrice que je suis. bravo Coline quel beau message d’espoir et d’ouverture à l’autre. Merci de nous avoir fait partager tes pensées tes dessins plein d’humour . A bientôt Etty

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  3. Ping : Ce que le Chemin de Compostelle m’a apporté – Coline Peyrony

  4. Superbe texte Coline. J’ai fait le même chemin que toi avec une amie en avril 2017 nous avons juste poussé jusqu’à Roncevaux. Nous reprenons notre chemin en avril pour aller jusqu’à Saint Jacques voire Finisterre. Ton expérience me rappelle la mienne, les rencontres, les ressentis, les douleurs physiques peut être un peu plus pour moi, nous n’avons pas le même âge. Mais toi tu as vraiment “les mots”. C’est un don. Ton texte est vraiment fluide, tes pensées claires et tu vas directement à l’essentiel. Je ne connais pas ton métier mais tu devrais écrire. Tu trouveras peut être des lieux qui te sont familiers sur notre blog. Qui sait ? Peut-être sur le chemin 😊https://annemartinesurlechemin.wordpress.com

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    • Merci pour ce beau commentaire ! Ça me fait vraiment plaisir.
      Effectivement, j’aime écrire… Et je suis en train d’écrire un roman. Comme quoi !
      Je vais faire un tour sur votre site avec intérêt.

      Buen camino !

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